Une enfance au nuoc mam (3)
Ces petites épiceries, c’est le « magasin chinois ». Celui de Duc est encombré de demi-barriques remplies d’énormes filets de poissons séchés coupés en deux dans le sens de la longueur et écartelés dans la saumure. Comme Ravaillac après avoir subi le supplice de l’écartèlement et de la roue dans mon livre d’histoire de CM2. Celui qui a assassiné Henri IV, le père de la poule au pot le dimanche et de l’élevage intensif des poulets en batterie. Il y a toutes sortes de choses suspendues sur les murs jusqu’au plafond. Tricycles, bicyclettes, casseroles, seaux, arrosoirs en zinc, cerfs-volants, tresses de pétards et feux de Bengale, cordes à sauter, bottes en caoutchouc, pompes Fly-tox, rouleaux d’essoreuse, machines à coudre Singer à pédales, de bassines et de pots de chambre émaillés. Tout cela au milieu de longs serpentins gluants, des tue-mouches surchargés, qui tombent des poutres où ils sont accrochés depuis quelques années lumières. Bref on y trouve tout ce qui peut exister au monde et ce qui n’existe pas comme la machine à oublier les mauvais souvenirs à coté de l’élixir de perpétuelle verdeur pour le jouet des hommes quand il devient nécessaire d’en remonter le ressort fatigué.
Extrait de "Une enfance au nuoc mam"
de Yannick Prigent
Illustration de Fly
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